L'HYPOTHÈSE GAÏA
L’hypothèse Gaïa avance l’idée que la Terre peut être considérée comme un seul et unique système dynamique composé de multiples sous-systèmes intriqués et interdépendants. Cette théorie, qui s’oppose donc au dualisme classique humain-nature et qui pose les fondements de l’écologie profonde, est fertile en ce qu’elle est porteuse d’une révolution nécessaire de notre rapport avec le non-humain. C’est au nom de cette pensée que sont parfois justifiées certaines actions directes : les militants eux-mêmes sont “la nature qui se défend”.
Face à l’inertie des institutions et à l’incurie des politiques, de plus en plus nombreux sont les citoyens qui s’engagent dans la lutte. En Europe, l’activisme environnemental “se radicalise” en ce qu’il commence à recourir à des modalités d’action impactantes qui sortent du cadre de la marche ou de l’action symbolique. Il se pourrait bien que nous assistions aujourd’hui à un tournant, celui où les frictions tant redoutées mais prévisibles de la transition écologique et environnementale deviennent manifestes, celles qui émergent de la confrontation des visions divergentes des États et d’une société civile lucide qui refuse la feuille de route imposée.
Le projet dans sa globalité est encore en cours et portera sur ces dites frictions et l’étude conjointe des militants et de leurs modalités d’action. Issues d’une exposition rétrospective sur la cinquième saison d’action des Soulèvements de la Terre, les photographies présentées ici sont regroupées par chapitre, chacun correspondant à une mobilisation.

Sainte Soline, mars 2023

Une détonation toutes les deux secondes. 200 blessés. Plusieurs bilans fonctionnels et vitaux engagés. Des séquelles physiques et psychologiques à vie.
Le 25 mars 2023, le gouvernement français a fait le choix d’une posture sordide : défendre un trou béant coûte que coûte, quitte à tuer. Comme celleux présent.es à Sainte Soline ce jour-là le savent, les photos présentées ici ne peuvent rendre compte du déferlement de violence qui s’est abattu sur celleux qui seront qualifié.es le lendemain, de façon éhontée, d’”écoterroristes”.
Paradoxalement, la volonté gouvernementale de criminaliser et de briser les corps des militant.es n’a fait que renforcer le mouvement. Bientôt, ce sont plus de 150 000 personnes qui se réclameront des Soulèvements de la Terre que l’exécutif cherche dorénavant à dissoudre.

Vendine, avril 2023

Moins d’un mois après la répression traumatisante qui s’est abattue à Sainte Soline, c’est contre l’absurde et archaïque projet autoroutier reliant Castres et Toulouse que des militants se mobilisent dans une ambiance festive et familiale. En écho au caractère composite des Soulèvements de la Terre qui, de l’aveu même des autorités, a la capacité de transcender « les appartenances d’origine et les divergences de stratégie », un mur symbolique est maçonné sur la chaussée et une course de bolides d’anthologie suscite la passion de la foule.

Léry, mai 2023

Contre le Grand Contournement Est de Rouen, les soulevé.es ont fait preuve d’une grande ingéniosité pour faire tomber la Déclaration d’Utilité Publique et ralentir les futurs travaux : mise en place de cabanes dans les arbres et creusement de galeries pour inviter deux espèces protégées, le muscardin et le triton crêté, à réinvestir la forêt menacée ; réarmement des arbres face aux tronçonneuses à l’aide de clous dans leur écorce ; piégeage de certains arbres et marquage de troncs pour perturber la coupe. Le lendemain, une ZADE (Zone À Défendre pour Enfants, un espace de jeux) éclot dans la forêt de Bord avant que l’autoroute voisine ne soit occupée par les militants.
Le préfet se fendra rapidement d’un communiqué cocasse, condamnant ces actions au nom des atteintes commises sur les arbres et du trouble à l’ordre public qu’elles engendreraient.

Entre Saint Colomban et Nantes, juin 2023

L’avant dernier acte de cette saison d’actions a pris une forme particulière : celle d’un convoi de plusieurs milliers d’individus mêlant tracteurs, vélos et voitures. Entre Saint Colomban et Nantes, le convoi s’arrête à des endroits symboliques du maraîchage industriel d’exportation et de l’industrie du bâtiment, tous deux grands consommateurs de sable, pour protester contre le projet d’extension d’une carrière de sable, les impacts environnementaux (artificialisation des sols, émissions de gaz à effet de serre, agriculture intensive…) et l’accaparement foncier qui en découlent.
Les médias réactionnaires ont sauté sur les images des plants de muguet et de mâche arrachés ou d’une serre expérimentale déchirée pour disqualifier le bien-fondé de ces gestes et propager un discours tout aussi sensationnaliste que branlant.

Vallée de la Maurienne, juin 2023

Dans la vallée de la Maurienne, les autorités ont fait leur possible pour faire capoter la mobilisation : interdiction de la manifestation, zone de circulation interdite obligeant les organisateur.ices à déplacer le campement et empêchant les gestes d’occupation et de désarmement du chantier, blocage à la frontière de bus italiens… Finalement, un cortège s’élance sur une nationale avant d’être rapidement stoppé par les forces de l’ordre. Pendant près de 2 heures, les manifestants sont immobilisés sur le bitume pendant que des élus tentent vainement de négocier avec les autorités. L’impatience monte jusqu’à ce que quelques heurts éclatent. Définitivement bloqués, des militants décident spontanément d’envahir la chaussée de l’autoroute voisine : ils sont rapidement repoussés par les forces de l’ordre qui n’hésitent pas à tirer directement sur les personnes traversant le fleuve, immergées jusqu’aux genoux dans le courant puissant. Sur le chemin retour, un bain collectif permet de se débarrasser autant que possible de la frustration accumulée lors de cette journée.
error: